Mr Ban Ki-moon, avons-nous manqué à notre devoir ?

Publié sur http://le10sident.blogspirit.com (Ouagadougou) le 28 avril 2008

Travaillant pour les Nations Unies, j’étais, Mr Ban Ki-moon, dans la cour du bâtiment des Nations Unies le matin du 23 avril 2008 à entendre votre discours adressé au personnel. Comme on a ensuite – sans doute pour raison de votre temps précieux – supprimé la petite session questions-réponses pourtant prévue dans le scénario original de la rencontre, je vous adresse cette lettre par presse interposée.

Excellence, Secrétaire Général des Nations Unies !

Vous nous l’avez dit : Dans les quatre derniers mois, c’est déjà la troisième fois que vous voyagez en Afrique. Merci pour tant d’intérêt ! J’espère qu’il reflète l’intérêt du monde entier – que vous représentez.

Même si vous nous avez dit que ce n’est pas le Burkina qui vous a amené ici mais surtout le rôle clé de médiateur de la crise ivoirienne joué par notre Président, on n’en est pas surpris, on a depuis longtemps l’habitude d’être traité comme l’hinterland de ce pays frère économiquement beaucoup plus avancé, donc beaucoup plus important.

Dans votre discours, Mr Ban Ki-moon, vous avez, parmi autres, parlé du développement, de la transparence, de la responsabilité, de la sécurité des employé(e)s des agences du système des Nations Unies, de la fierté de faire partie de ce système.

Je voudrais traiter d’une autre sécurité dans cette lettre, la sécurité alimentaire. Et non pas de la sécurité alimentaire des employé(e)s des agences du système des Nations Unies – nous gagnons assez pour nous en charger sans problème – mais de la sécurité alimentaire au Burkina, en Afrique et ailleurs dans le monde.

On en parle beaucoup ces dernières semaines, de cette grande nouvelle crise. Qui menace les pauvres ; les menace de pauvreté plus aigue ; les menace de faim ; de misère.

Je veux parler de la majorité des Burkinabè. Peut-être que vous n’avez pas vu de pauvres, Mr Ban Ki-moon, entre l’Hôtel Sofitel, le palais présidentiel, la primature et le bâtiment des Nations Unies, mais ils et elles sont vraiment trop dans ces contrées ! Comme ailleurs en Afrique. Comme ailleurs dans de grandes parties du monde.

Après 60 ans de « développement » du Tiers Monde, on est donc arrivé là : une série de facteurs – la plupart de longue durée et bien prévisibles – ont poussé les prix des produits de nécessité primaire à une hausse vertigineuse. Hausse des prix qui anéantit les quelques avancées réalisées en développement jusque là. Hausse des prix qui remet en cause tous les efforts entrepris pour avancer, pour sortir de la pauvreté abjecte. Parce que ce sont les plus pauvres qui sont les pire touché(e)s.

La FAO – l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture –, d’après les dires d’un de ces économistes, savait depuis deux ans qu’il y aurait problème. L’alarme n’était pas donnée. Pour le commun des mortels, c’étaient les Mexicain(es)s qui d’abord avaient faire résonner les tamtams de la presse internationale : le prix de leur maïs avait tellement augmenté en 2007 qu’on risquait, si on était pauvre, de ne plus pouvoir se préparer la tortilla nationale. Comme raison de la hausse du prix du maïs on donnait la forte demande américaine pour les biocarburants. Si les voitures ont besoin de bouffer, ce ne seront pas quelques millions de pauvres qui vont les empêcher.

Maintenant la crise s’est mondialisée. Même dans les pays riches, les prix de la nourriture ont beaucoup augmenté. Mais là on a beaucoup d'argent, ce n’est donc pas comparable. Là où c’est grave, c’est ici. Et bien sûr que la faute n’est pas seulement aux biocarburants. La faute est, parmi d'autres, à la forte demande émanant de la Chine et de l’Inde, ayant eux, pour une partie de la population, réussi le pari du développement (dans sa forme la plus concrète : mieux se nourrir). La faute est aussi à la hausse des prix du pétrole et de tous ses dérivants, y inclus l’engrais. Et aussi à la spéculation : avec la crise immobilière aux Etats-Unis il y a d’importants capitaux en recherche d’investissement – et on a donc découvert les marchés mondiaux de la nourriture. Et tant pis si les pauvres en meurent – il faut surtout des profits pour faire avancer le monde, non ?

Pourquoi n’a-t-on pas sonné l’alarme ? Avec tout ce gigantesque dispositif de recherche, d'étude, de planification et de suivi – n'a-t-on pas vu venir? Pourquoi n’a-t-on pas pris les précautions nécessaires ? C’est sur un plan global qu’on aurait dû agir. Même si les démonstrations à Bobo, à Ouahigouya, à Banfora, à Ouagadougou … et dans beaucoup d’autres pays se sont surtout adressées à leurs gouvernements respectifs : il s’agit d’un problème vraiment global.

Et c’est pour ça que je m’adresse à vous, Mr Ban Ki-moon, pas en tant que personne, mais en tant que Secrétaire Général donc représentant des Nations Unies. Vous avez le matin du 23 avril insisté sur l’« accountability », ce beau mot intraduisible qui veut surtout dire responsabilité.

Je vous interpelle donc, Mr le Secrétaire Général des Nations Unies, d’assumer au nom des organisations internationales notre responsabilité pour la crise alimentaire – crise globale, mais touchant surtout les pauvres. Sinon comment éprouver, comme vous nous l’avez demandé, de la fierté d'appartenir à une institution qui manque au premier de ses devoirs ?

Comme ce qui est fait est fait – « it is no use crying over spilt milk » disent les anglophones – il faudra en réparation mais aussi en pensant aux tâches fixées aux Nations Unies, dès maintenant entreprendre tout pour contribuer à remédier au plus vite à la crise.

Parce que, s’il n’y a pas assez à manger, tous les autres grands accomplissements – des Nations Unies, des gouvernements, de tout(e) un(e) chacun(e) – s’avèrent superflus.