Ne touche pas à ta femme ! Ce patriarcat qui ne recule guère devant la violence.

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"il croyait connaître les femmes, qu'elles étaient toutes soumises aux règles des hommes, toutes pudiques et prêtes à être forcées, il ne savait pas que j'existais."
Ananda Devi, Pagli, Paris (Gallimard) 2001, p.78

Dans le palmarès mondial de la rudesse du patriarcat, le Burkina n'est pas loin du pire. Prenons le Global Gender Gap Report[1], publié en novembre 2008, dont l'indicateur essaie de comparer la distance qui sépare hommes et femmes à travers le monde. Les différences sont évaluées dans quatre champs : participation et opportunités économiques, autonomisation politique, niveau d'éducation, et finalement santé & survie (14 critères au total). Cet indicateur place le Burkina 115ième parmi les 130 pays rangés par combien ils sont loin de l'égalité des sexes.

Mais manque d'égalité est une chose, peu propice à l'épanouissement individuel et collectif qu'elle soit. L'autre chose sont les moyens qu'on est prêt à employer pour maintenir et cimenter cette inégalité, pour conserver le pouvoir qu'on a sur l'autre sexe[2]. Cet exercice du pouvoir mâle est peu subtil, la violence est employée par beaucoup de manière journalière.

Est encore plus surprenant combien des victimes sont d'accord, combien considèrent que la violence qui leur est faite fait partie de l'ordre normal des choses.

Le consentement des victimes

Pour le Burkina, MICS 2006 a trouvé que "sept femmes enquêtées sur dix (71,4%) trouvent qu’il est légitime qu’un mari batte sa femme lorsqu’elle sort sans l’informer, ne s’occupe bien des enfants, argumente avec lui, refuse les rapports sexuels ou brûle la nourriture. Cette proportion est de 59,3% en milieu urbain et de 76,3% en milieu rural. Même parmi les femmes jamais mariées ou jamais en union, 60,8% estiment que le mari peut battre sa femme pour l’une ou l’autre des raisons évoquées. Cette proportion est plus élevée chez les femmes mariées ou en union (74,3%). La perception du droit de l’homme à la violence conjugale évolue avec le niveau d’éducation de la femme et selon le groupe d’âges. En effet, 76,5% des femmes analphabètes estiment qu’un homme peut battre sa femme, contre 67% pour les femmes de niveau d’éducation primaire et 41,6% pour les femmes de niveau d’éducation secondaire et plus. Selon le groupe d’âge, la proportion de femmes qui pensent qu’un homme peut battre sa femme évolue de 68 % chez les 15-19 ans à 76 % chez les 45-49 ans. Cette variation, bien que faible, peut être attribuée à un effet de génération : les jeunes femmes sont davantage favorables au changement, tandis que les plus âgées restent toujours attachées à la tradition qui prône la soumission totale de la femme à son mari."[3]

La soumission de la femme va très loin. Chaque souhait de l'homme – du père, du mari, du frère, du petit ami et je ne sais de qui encore – lui est commande. Le désir de l'homme – sexuel ou autre – prime sur les besoins ou désirs propres de la femme. Ce désir d'homme, s'il concerne la femme, semble automatiquement donner droit de réalisation à l'homme. Et cela dans la perception de l'homme ET de la femme.

Trop rares sont les exceptions.

Etude de base du programme conjoint "Violences à l'égard des femmes au Burkina Faso"[4]

"En 2006, le secrétariat général des nations unies a commandité une étude intitulée « Mettre fin à la violence à l’égard des femmes » (…). Cette étude a mis en exergue l’ampleur des violences à l’égard des femmes à travers le monde et a fait des recommandations pour leur éradication. C’est dans le cadre de la mise en œuvre de ces recommandations que le réseau inter-agences sur les femmes et l’égalité des sexes (IANWGE, avec l’appui de la Task Force sur les violences à l’égard des femmes des agences des Nations Unies) a développé un programme pilote conjoint couvrant dix pays dont le Burkina Faso." Et le point de départ de ce programme est l'étude ici présentée – qui a vu le jour surtout grâce à l’UNFPA.

Parmi la "multitude de violences aussi variées que pernicieuses à l'égard des femmes"[5], l'étude a trouvé six catégories principales de violences faites aux femmes :

* Violences physiques ou corporels : atteintes à l'intégrité physique de la femme ; surtout par le conjoint ;  filles adoptives, domestiques, filles qui exercent dans les débits de boisson et professionnelles du sexe sont aussi touchées.

* Violences de type moral et psychologique : atteintes à la personnalité de la femme, à son image, à son estime propre, à son équilibre intérieur. Dans le milieu familial on trouve entre autres injures, humiliations, menaces, chantages, intimidation, répudiation, refus de liberté pour la femme de décider de sa vie, déclassement des épouses ménopausées ou mal aimées au profit des épouses plus jeunes, délaissement ou abandon de femmes stériles, délaissement ou abandon de femmes qui n'accouchent que des filles. Violences de ce type sont exercées aussi dans le milieu scolaire, dans le milieu professionnel et dans la rue.

* Violences sexuelles : incluent paroles obscènes, sévices sexuels, viol, harcèlement sexuel, attouchements des organes sexuels et autres, quand coercition est employée. Viol conjugal et viol incestueux méritent une attention particulière comme ils sont sujets à encore plus de tabous que les autres violences sexuelles.

* Violences économiques : "(p)eu de populations du Burkina Faso reconnaissent un droit de propriété aux femmes. Elle est elle-même partie du patrimoine de la famille au sens large"[6]. Les femmes sont déniées accès aux moyens de production, la femme est rarement propriétaire de terre, n'a pas accès au foncier, n'est pas libre d'exercer un métier de son choix, n'a pas le contrôle total des fruits et bénéfices de son petit commerce ; à la suite du décès de son époux, elle est souvent expropriée ou spoliée de son bien familial, aussi dans le cadre du lévirat.

* Violences politiques : les postes de responsabilité restent inaccessibles ou peu accessibles aux femmes.

* Violences de type culturel[7] : mutilations génitales féminines (excision) ; lévirat (on oblige la veuve à se remarier à un parent de son défunt mari) ; mariage forcé (sans le consentement de la concernée) et mariage précoce (l’âge minimum légal au mariage est de 17 ans pour les filles); exclusion sociale pour fait de sorcellerie (concerne presque exclusivement des femmes âgées, affaiblies, sans soutien).

Les auteurs des violences faites aux femmes sont surtout des proches de ces femmes, en premier lieu les époux.[8]

Dans le système patriarcal prononcé du Burkina Faso, un rôle important revient au système de valeurs qui sous-tendent le statut d'homme en tant que chef incontesté de la famille ainsi que la supériorité des hommes en général et les droits de propriété des hommes sur les femmes et les filles. Dans un tel contexte "la remise en cause par les femmes de ce système et des rapports de domination dont elles sont victimes, est inévitablement  source de conflits et de violences."[9]

Plan d'action national 2008-2010 sur les violences à l'égard des femmes au Burkina Faso[10]

Les défis majeurs de toute action contre les violences à l'égard des femmes sont l'ubiquité du phénomène et la "normalité" qui en découle pour la plupart des hommes mais aussi des femmes burkinabè. Pire : la majorité des violences faites aux femmes étant commises à l'intérieur des familles, il y a une "culture de silence" qui s'érige en mur protecteur autour de ces violences. Ne peut divulguer ces secrets familiaux qu'une dévergondée : "seules les femmes considérées comme des ’bandits’ ou qui ne respectent pas leur famille et celles de leurs conjoints peuvent dénoncer des abus auprès des services juridiques ou judiciaires"[11]. Toute action contre ces violences présuppose donc de "délier les langues"[12]. Et un dispositif pour protéger ceux et celles qui osent dénoncer – parce que, jusqu'ici "(p)our les victimes qui ont eu le courage de dénoncer, la démarche s’est le plus souvent soldée par un arrangement au détriment de la victime pour sauvegarder l’honneur, l’amitié ou la dignité de l’auteur ou de la famille".[13]

Qui seraient les bénéficiaires prioritaires du plan d'action ? "(L)es femmes qui subissent le plus de violences ont le profil type de femmes non instruites, sans ressources régulières, habitant le plus souvent en milieu rural et quelques fois ayant un âge ne lui permettant plus de produire ou de reproduire. Ces femmes sont généralement celles qui considèrent l’exercice de violence comme un fait normal. Elles sont aussi celles qui ne recourent pas ou recourent peu aux services juridiques et judiciaires. (…) Par ailleurs, parmi les bénéficiaires primaires, il faut inclure les filles qui sont souvent des victimes silencieuses de pratiques comme le mariage forcé et les mutilations génitales. Ce sont aussi ces dernières qui sont touchées de façon accrue par le harcèlement et les viols. Elles gardent souvent le silence par honte ou par peur de stigmatisation."[14]

En synergie avec le volet "Violences faites aux femmes" de la Politique Nationale Genre (PNG)[15], avec le "Plan d’action national de promotion de l'abandon des MGF dans la perspective de la tolérance zéro" du Comité National de Lutte contre la Pratique de l’Excision (CNLPE) et avec le Plan d’action national sur les violences faites à la fille en milieu scolaire (en cours d’élaboration), on s’appuierait aussi sur les résultats de deux études en cours : "Les violences basées sur le genre en milieu scolaire" commanditée par le Ministère des enseignements secondaire, supérieur et de la recherche scientifique et l’étude sur "Le harcèlement sexuel en milieu scolaire" commanditée par l’Association d’appui et d’éveil Pougsada.

Le plan d'action propose : Un projet pilote jusqu'en 2010 dans trois régions : Plateau Central, Sahel, Hauts-Bassins : "Le principal critère du choix de ces trois régions tient au fait que ce sont les régions où se dégagent les tendances les plus manifestes de certaines violences. Il s’agit par exemple des mariages précoces et/ou forcés dans le Sahel ; l’exclusion sociale du fait de sorcellerie et le refus de liberté, la soumission à l’homme ainsi que les mariages forcés sont plus manifestes au Plateau Central. Enfin la région des Hauts-Bassins fait face à une recrudescence de violences sexuelles exercées à l’égard des filles et des femmes."[16]

Avec la mobilisation accrue pour la prise de conscience sur les méfaits des violences faites aux femmes comme objectif général, le plan d'action propose de combiner[17] :

* mesures gouvernementales pour lutter contre les violences faites aux femmes (à commencer par l'adoption de la PNG ; relecture du Code Pénal pour prendre en compte harcèlement sexuel, lévirat, violences conjugales, etc.) ;

* prévention / changements de comportements favorables à la non violence à l'encontre des femmes (éducation par les pairs ; approche droits humains ; Plan intégré de communication (PIC) basée fortement sur les radios communautaires ; plaidoyer auprès des leaders coutumiers et religieux) ;

* prise en charge des victimes des violences faites aux femmes (renforcement et/ou création de centres d'accueil/d'écoute et d'hébergement des filles et femmes en difficulté ; offres de services psychologiques et juridiques ; informer, conseiller, orienter et accompagner les victimes, où nécessaire avec prise en charge médicale, psychologique et financière ; mise en place d'un système d'alerte/d'une ligne verte pour les violences faites aux femmes) ;

* répression / sanctions contre les auteurs et réparation des préjudices (mise en place d'une assistance judiciaire pour les populations défavorisées et création d'un fonds pour garantir le paiement des condamnations pécuniaires en matières matrimoniales) ;

* recherches additionnelles y inclus intégration des violences faites aux femmes dans les enquêtes et statistiques nationales.

Comme partenaires pour la mise en œuvre, le plan d'action voit, sur le plan étatique, surtout les trois acteurs déjà actifs dans la matière que sont le Ministère de la Promotion de la Femme (MPF), le Ministère de la Promotion des Droits Humains (MPDH) et le Ministère de l'Action Sociale et de la Solidarité Nationale (MASSN)[18], ainsi que le Ministère de la Justice (MJ), concerné par beaucoup des activités planifiées. Comme partenaires de la société civile, appel va être fait aux ONG et associations actives dans la matière dans les trois régions du projet pilote, le plan d'action mentionne entre autres La Coalition Burkinabè pour les Droits de la femme, Wildaf, l'Association des Femmes Juristes du Burkina et Voix de Femmes. Parmi les partenaires bailleurs rangent entre autres la GTZ, Plan Burkina, Aidos, UNFPA et UNICEF.[19]

Le budget prévu s'élève à près de 150 millions de F CFA, pour le moment la planification reste encore peu détaillée et peu concrète.[20]

Günther Lanier, point focal genre de l'UNICEF

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que l'auteur et ne reflètent pas nécessairement les positions de l'UNICEF.

[1] Richard Hausmann (Harvard University), Laura D.Tyson (University of California, Berkeley), Saadia Zahidi (World Economic Forum), The Global Gender Gap Report 2008, Geneva (World Economic Forum) 2008. Il va sans dire que, comme toute comparaison quantitative globale, le Gender Gap Index ne saurait fonctionner sans une grande dose de simplification.

[2] Oui, il y a aussi la violence des femmes contre les femmes, bien sûr, et même la violence des femmes contre les hommes, mais le plus souvent, l'homme est l'acteur et la femme la victime.

[3] INSD, UNICEF, etc., Résultats de l’Enquête Nationale à Indicateurs Multiples Burkina Faso 2006 ("MICS 2006"), Ouagadougou 2008, p.30; le tableau suivant représente le tableau CP9 ibid., pp.28f, légèrement abrégé.

[4] Réseau inter-agences sur les femmes et l'égalité de genre. Groupe de travail sur les violences faites aux femmes (Wendyam Kaboré/Zaré, Yacouba Yaro, Ibrahim Dan-Koma), Etude de base du programme conjoint "Violences à l'égard des femmes au Burkina Faso. Version Finale, Ouagadougou novembre 2008. Bien que sortie d'un atelier public de validation d'octobre 2008, cette "version finale" pourrait encore subir quelques retouches.

[5] ibid., p.18

[6] ibid., p.23

[7] cette catégorie est problématique : c’est comme s’il y avait des violences ‘naturelles’ – qu’un homme viole sa femme quand elle refuse les rapports sexuels avec lui, par exemple – et d’autres qui seraient ‘artificielles’ = ‘culturelles’. Ne serait-ce, en plus, qu’une façon cachée de dire ‘rétrogrades’ ou ‘primitives’ ? Questions qui dépassent de loin ce petit article.

[8] ibid., pp.28f ; l'étude, bien que nationale, n'est dans aucun sens – et ne prétend pas être – représentative sur le plan quantitatif ; ainsi, le sous chapitre suivant (pp.29f) sur l'ampleur générale de la violence ne se base que sur des données rares, anecdotiques – il faudrait une étude beaucoup plus profonde, donc beaucoup plus chère pour avoir des données fiables et représentatives, difficiles à avoir vu la sensibilité de beaucoup des thèmes traités.

[9] ibid., p.34

[10] Wendyam Kaboré/Zaré, Yacouba Yaro, Plan d'action national 2008-2010 sur les violences à l'égard des femmes au Burkina Faso : Programme Pilote des Nations Unies. Version provisoire, Ouagadougou, décembre 2008 ; ce draft d'un plan d'action a été élaboré sur la base de l'étude de base ci-dessus présentée.

[11] Plan d'action national 2008-2010 sur les violences à l'égard des femmes au Burkina Faso, p.14 où référence est faite à une étude de la GTZ non spécifiée.

[12] Le premier des résultats attendus du Plan d'action (p.22) est : "Les femmes et plus précisément celles qui sont en milieu rural ont les « langues déliées »  pour rompre le silence sur les violences qu’elles subissent".

[13] ibid., p.17

[14] ibid., p.22

[15] la PNG a été élaborée et attend présentement son adoption par les autorités burkinabè

[16] ibid., p.11

[17] ibid., pp.7 et 15-18

[18] il s'agit malheureusement de trois ministères "faibles" – en ce qui concerne le rang protocolaire autant que les budgets attribués.

[19] ibid., pp.23f.

[20] voir ibid., pp.30-36 pour le cadre logique budgétisé